Henri Marie Joseph Vallot (1854-1925) was an astronomer and French geographer. He first attained the summit of Mount Blanc in 1881. From that point on, he focused all of his studies on the meteorological information that could be gained from upon this summit, beginning in 1886. In 1890 he founded an observatory there at Chamonix on the southeastern border of France and published his various observations in the Annals of the Observatory of Mont Blanc. The nearby cabin could also be used as a refuge for alpinists. By decade's end the cabin was moved and a second observatory was constructed in the harsh environment. Vallot continued to work at the observatory until its dismantling around his 66th birthday. Interested in many fields of investigative endeavor, he completed 35 scientific expeditions. 1 |
Il y a quelques années, j'ai étudié dans les Pyrénées les formations qui résultent de la rupture ou du
déplacement de la tige des Conifères, principalement chez les Sapins et les Pins (1). J'ai établi que, lorsque la tige d'un Sapin vient
à être brisée ou déplacée de sa position verticale, il se forme une ou plusieurs flèches adventives qui remplacent l'axe primitif. Ces
nouvelles tiges proviennent soit du recourbement d'un rameau, soit d'un bourgeon se développant en un point quelconque d'une branche. (1) Le Sapin et ses déformations. Paris, 1887, broch. in-8°. J'ai continué cette étude dans les Alpes, sur les Abies excelsa et sur les Mélèzes. J'ai vu que, contrairement à ce que j'avais cru d'abord, ces formations sont très fréquentes à Chamonix; mais, comme elles se sont surtout produites sur les Sapins jeunes, je ne les avais pas remarquées tout d'abord. Chez l'Abies pectinata des Pyrénées, la tige adventive se produit le plus souvent par le développement d'un bourgeon sur un rameau inférieur, à quelque distance du tronc. Sur l'Abies excelsa, au contraire, beaucoup plus commun dans les Alpes, la nouvelle flèche est souvent produite par le recourbement d'un rameau supérieur ou, si la flèche a été rompue loin du sommet, par la production de trois ou quatre bourgeons sur un rameau supérieur, qui porte alors plusieurs tiges nouvelles. Le Mélèze présente ces divers modes de formation, comme on peut le voir sur les magnifiques arbres du Monlanvers ou du bois de Pierre-Pointue. Ce qui ressort de ces observations, c'est que la plupart des Conifères ne peuvent se passer de flèche, et qu'il s'en forme une ou plusieurs nouvelles, aussitôt que la tige primitive est brisée. Mais, si l'arbre se rétablit, ce n'est pas sans souffrance; il fait une maladie, et sa végétation est très ralentie pendant quelque temps. Il est facile de s'en rendre compte en examinant les liges nouvelles, dont les entre-noeuds sont beaucoup plus rapprochés, pendant un certain nombre [285] d'années, que ceux de la tige primitive. Les flèches adventives paraissent se comporter comme de jeunes plantes de même taille. Il en résulte qu'un Sapin dont la flèche a été coupée subit dans sa croissance un retard considérable, et qu'il est rapidement, dépassé par un arbre sain du même âge. Si les nouvelles flèches sont rompues successivement lorsque l'arbre commence à reprendre, le retard deviendra de plus en plus considérable, et l'arbre restera déformé, noueux et de petite taille. A ces observations j'en joindrai une que j'ai faite à Chamonix. J'ai fait scier sur la rive droite de la Mer-de-Glace, au-dessous du glacier du Dru, à 2000 mètres d'altitude, un Sapin d'environ 3 mètres de haut, dont la flèche avait été brisée et reformée plusieurs fois. La dernière flèche, âgée de trente ans, n'avait que 6,5 centimètres de diamètre, tandis qu'un arbre du même âge, sain et coupé à Chamonix, avait 23 centimètres de diamètre. La flèche précédente avait soixante ans et ne mesurait que 12 centimètres de diamètre. Quant aux restes des flèches plus anciennes, ils étaient trop près du sol pour que j'aie pu les faire scier. On voit donc que l'arbre, non seulement avait peu grandi, mais même avait peu grossi. Je dois ajouter, il est vrai, que cet arbre se trouvait ici à l'extrême limite de la végétation des Sapins, et que le climat devait aussi entraver sa croissance. Un autre cas intéressant et qui mérite d'être étudié est celui où l'arbre est renversé par le vent. Dans ce cas, la flèche, n'étant plus verticale, ne peut plus remplir son rôle de tête: il faut qu'il s'en forme une nouvelle. Il se produit alors un fait assez curieux: l'extrémité de la tiger tend à reprendre peu à peu sa verticalité à mesure qu'elle s'accroît, mais le fait seul de sa position horizontale nuit tellement à sa croissance, qu'elle ne s'allonge plus qu'avec une extrême lenteur. Mais, comme pendant ce temps l'arbre a un besoin absolu de sa tête, il s'en fabrique une ou plusieurs autres au moyen de bourgeons adventifs. J'ai pu constater expérimentalement le peu de croissance d'une flèche couchée. J'ai placé horizontalement un Araucaria imbrícala en pot, sans aucune torsion de la tige, et, au bout de deux ans, j'ai pu constater que la tige ne s'était pas allongée de 5 centimètres et n'avait pas produit de verticille, tandis que les arbustes témoins végétaient vigoureusement. J'ai observé à Chamonix un cas très intéressant d'arbre renversé. Sur la route de Pierre-Pointue, vers 1600 mètres d'altitude, un Mélèze de 6 à 7 mètres de haut a été couché horizontalement au-dessus du chemin par la chute d'un énorme Sapin. La tige, qui est bifurquée, a commencé à se redresser, mais très lentement; en même temps, des bourgeons situés à peu près à l'aisselle des rameaux principaux et de la partie vieille de la tige se sont développés verticalement, formant cinq nou- [286] velles flèches verticillées, tout le long du tronc. La plus grande a déjà acquis plus d'un mètre de haut, tandis que l'ancienne flèche en voie de redressement n'est pas encore inclinée à 45 degrés. Il résulte de tout cela que les Conifères grandissent beaucoup plus lentement lorsqu'ils ont été privés de leur flèche, ou que cette flèche est couchée horizontalement. Ces observations me sont revenues à la mémoire lorsque j'ai vu les plantes apportées par les Japonais à l'Exposition universelle. Les peuples de l'extrême Orient ont une esthétique toute particulière et très différente de la nôtre; il suffit d'examiner leurs dessins et leurs broderies pour remarquer leur amour du contourné et de l'anti-naturel. Les Conifères étant des arbres essentiellement droits, ils font tous leurs efforts pour les contourner dans tous les sens, et ils les torturent jusqu'à ce qu'un Pin ait pris l'aspect d'un vieux Chêne noueux. Les Chinois nous donnent eux-mêmes, dans leurs dessins si finement exacts, la clé des procédés employés. Un Pin est scié à quelque distance au-dessus du sol; il se forme aussitôt des flèches adventives sur les rameaux; la flèche qui s'éloigne le plus du tronc primitif est seule conservée, et l'on coupe les autres. La nouvelle flèche, ayant pris un certain développement, est coupée à son tour à peu de hauteur, et remplacée par un rameau retournant à angle droit vers le tronc. Une flèche nouvelle se forme sur ce rameau et est traitée de la même manière; on continue ainsi à conduire l'arbre selon la fantaisie du jardinier. Cette fréquente privation de tige nuisant à la végétation, comme je l'ai dit, empêche l'arbre de grandir vite; aussi les arbres traités de cette manière sont-ils toujours petits dans les jardins chinois. Les Japonais ont le même amour du contourné, mais ils ont en outre la passion des plantes minuscules; ils aiment à s'entourer d'arbres nains, vivant en pots comme nos plantes d'appartement. J'ai examiné longuement, à l'Exposition, ces productions curieuses de l'horticulture japonaise, et j'ai pu faire un ensemble d'observations qui permettent, je crois, de découvrir les conditions physiologiques qui déterminent le nanisme de ces arbres. La plupart de ces plantes appartiennent à la famille des Conifères. J'ai noté les espèces suivantes: Juniperus sinensis, Thuya obtusa, Cupressus Corneyana, Pinus japonica et Pinus densiflora. Ces plantes présentent toutes des caractères communs, provenant du traitement qu'on leur a fait subir. 1° Chez les Pins, le tronc forme une sorte de moignon, plus ou moins gros selon l'âge de l'arbre, et souvent coupé à la partie supérieure, presque toujours après avoir été tordu ou replié sur lui-même. De ce moignon [287] partent les rameaux constituant les tiges, qui présentent des traces de recépages fréquents; les rameaux sont pincés de tous côtés. 2° On remarque chez tous les arbres rabougris l'absence de racine pivotante. 3° Chez les Genévriers, Thuyas et Cyprès, la tige et les rameaux ne sont pas recépés d'ordinaire, mais ils sont repliés sur eux-mêmes et tordus en tous sens, soit en serpentant, soit en hélice, ce qui les fait paraître trois fois moins longs qu'ils ne sont en réalité, tout en mettant obstacle à la végétation. 4° Le tronc, au lieu de partir du niveau du sol, est presque toujours en l'air, supporté par quatre ou cinq racines dénudées, de sorte que le collet se trouve souvent à 10 ou 15 centimètres au-dessus de la terre. Les arbustes sont plantés dans des pots peu profonds, contenant très peu de terre, dans laquelle plongent seulement les extrémités des racines. Les observations rapportées plus haut permettent d'apprécier l'influence de ces divers traitements. Nous avons constaté l'arrêt de développement que causait le simple couchage de la tige des Conifères; l'effet sera bien plus considérable si l'on tord ou qu'on replie la tige sur elle-même, car, outre la position désavantageuse, il y a écrasement plus ou moins considérable des vaisseaux; c'est le traitement qu'on fait subir aux Cupressinées, chez lesquelles les tiges et les rameaux jeunes sont repliés sur eux-mêmes dans tous les sens, et sont maintenus dans la position voulue par une infinité de petites attaches. Quant aux Pins, les rameaux ne sont guère tordus, mais la tige est toujours violemment repliée sur elle-même de proche en proche, et souvent coupée, ce qui retarde encore le développement. Chez tous ces arbustes, la suppression du pivot, sans aucun doute artificielle, doit aussi nuire grandement au développement, en empêchant la plante de se nourrir par son organe naturel le plus développé. Lorsque l'arbuste s'est remis de la maladie que ce traitement a dû lui causer, et que les racines partant du collet peuvent le nourrir, il est probable qu'on le place dans un pot peu profond et qu'on dénude les racines sur une certaine longueur à partir du collet. Les racines ne se nourrissent plus que parleur extrémité, dans une terre rare, ce qui doit augmenter encore le rabougrissement, comme je l'ai observé sur certains Pins croissant dans les montagnes. Dans la localité dont j'ai parlé plus haut, à la Mer-de-Glace, j'ai fait couper un Pinus Cembra d'environ 15 mètres de haut, dont les couches, interrompues au centre par la pourriture, indiquaient deux cent trente-deux ans. Cet arbre se trouvait bien dans sa zone habituelle de végétation, comme sa vigueur pouvait en témoigner. Désirant examiner un arbre de la même espèce, mais aussi jeune que possible, j'en choisis un [288] qui n'avait que 3 metres de haut et 15 centimètres de diamètre à la base. Mais il se trouva que cet arbre, ayant crû dans une fissure étroite de rocher, et n'ayant qu'une nourriture insuffisante, s'était rabougri au point de rester de très petite taille, malgré les cent soixante-six couches annuelles que j'ai pu compter sur la coupe. Si l'on compare la végétation de ces arbres pendant les cent soixante-six dernières années, âge du second, on verra que le rayon du plus grand, du côté où la végétation était le plus vigoureuse, s'était accru de 24 centimètres, tandis que celui du plus petit n'avait augmenté que de 11 centimètres. Ce dernier croissant dans une étroite fissure, l'insuffisance de la nourriture devait augmenter peu à peu et diminuer de plus en plus la croissance; c'est ce qui arrive en effet, car pendant les soixante-six dernières années l'accroissement du rayon a été, chez le plus grand, le 14 centimètres, tandis qu'il n'était que de 3,6 centimètres chez le plus petit, juste quatre fois moindre. Une observation d'une autre nature montre aussi l'influence de la rareté de la nourriture sur le rabougrissement des arbres. Le Pin sylvestre n'est indiqué dans l'Hérault qu'au sommet du Méguillou, à Saint-Martin d'Orb, dans une localité granitique; on sait que cette espèce préfère ordinairement les terrains siliceux. Aussi n'est-ce pas sans surprise que je l'ai rencontré en 1888, en assez grand nombre, au bord du plateau du Larzac. Il s'en trouve là une petite colonie, au-dessus du village de Pégayrolles, dans le lieu appelé le Roc, voisin de la chapelle de Saint-Vincent. Les Pins occupent le sommet des rochers dolomitiques abrupts, analogues à ceux de Montpellier-le-Vieux. La roche se délite en un sable grossier, très maigre, qui remplit les fissures dans lesquelles poussent les arbres. Les Pins les plus vieux y sont de petite taille, noueux, tordus et rabougris, tellement qu'on a quelque peine à reconnaître l'espèce. Les jeunes pieds sont nombreux et poussent souvent dans des parties tellement pauvres qu'ils ne peuvent vivre que quelques années. Leur aspect rappelle beaucoup celui des Pins rabougris du Japon. Les feuilles des vieux pieds atteignent rarement 4 centimètres de long et celles des jeunes pieds ne dépassent pas 1,5 centimètres. Quant aux cônes, qui mûrissent en grand nombre, ils n'ont que 2,5 de longueur. Voilà donc des arbres auxquels la rareté de la nourriture donne une ressemblance frappante avec les Pins japonais; il est logique de penser que cette privation de nourriture doit être employée avec avantage dans la production des arbres nains. Il est vraisemblable aussi que les Japonais choisissent autant que possible des espèces ou des variétés naines ou au moins de petite taille dans les conditions normales. En résumé, les moyens employés par les Japonais pour obtenir le rabougrissement des arbres me paraissent être les suivants: Recourbement [289] continuel de la tige et des rameaux, recépage fréquent (chez certaines espèces), suppression du pivot de la racine, nourriture rare, obtenue par la quantité de terre dans laquelle plongent seulement l'extrémité des racines qu'on paraît dénuder à dessein. Chez les Cupressinées, qui grandissent lentement et qui peuvent être facilement conduites en hélice, le recépage n'est guère pratiqué, mais les Pins, plus vigoureux, finissent par trop grandir au gré des Japonais. Dans ce cas, on coupe la tige, en conservant au moins un rameau, qui sert à former un nouvel arbuste. Parmi les Genévriers exposés au Trocadéro, certains ont cent trente ans et n'atteignent pas 1 mètre de haut. On les vend jusqu'à 600 francs. Il n'est pas probable que les horticulteurs japonais livrent volontiers des secrets qui leur procurent d'aussi gros bénéfices. Outre les espèces dont je viens de parler, on peut en voir d'autres dont le traitement paraît être un peu différent. J'ai noté les suivantes: Podocarpus nageia, Podocarpus macrophylla, Ginkgo biloba, Trachelospermum jasminoides, Osteomeles anthyllidifolia, Nandina domestica, Acer palmatum, Acer japonicum. Chez ces espèces on retrouve le recépage, la privation du pivot et les racines dénudées, mais on n'observe pas le ploiement des tiges et des rameaux. En revanche, on y rencontre un autre caractère: toutes ces plantes sont greffées. Le tronc forme un énorme moignon, atteignant jusqu'à 10 centimètres de diamètre chez lesvieilles plantes, et recépé, scié net à la partie supérieure. Une série de greffes en couronne, ou même le long du tronc (Nandina) donnent naissance aux rameaux feuillés. Ces rameaux sont longs et retombent gracieusement, chez les Podocarpus, Trachelospermum et Osteomeles, mais, chez les Ginkgo, Acer et Nandina, ils sont dressés et semblent avoir grandi d'un jet dans une année. Il est probable qu'on les taille annuellement. Il est à remarquer que tous ces rameaux greffés sont grêles et sortent toujours du bord du pied recépé, où ils sont implantés dans la zone cambiale même; il est donc fort probable que les greffes sont renouvelées fréquemment. Quant aux moyens employés pour obtenir ces gros troncs, je crois qu'ils doivent consister surtout dans le recépage fréquent, exécuté très bas, et dans la privation de nourriture. M. Bonnier se rappelle avoir compté sur un Mélèze coupé, à Lognan, près de Chamonix, huit cent cinquante-deux couches annuelles; la tige était restée parfaitement verticale et témoignait de l'invariable immobilité du sol pendant cette longue période. 2 |
NOTES 1 "Vallot Refuge," http://www.montblanc.to/uk/mtblanc/index2.html.
"Joseph Vallot," http://www.biografiasyvidas.com/biografia/v/vallot.htm. 2 Vallot, Joseph, "Causes phyiologiques qui produisent
le rabougrissement des arbres dans les cultures japonaises," Bulletin de la Société
de Botanique de France, Paris, 1889, 36:
284-289. |