Parmi les nombreux congrès d'organisation et d'intérêt trop souvent
médiocres -- dont Chicago fut le lieu de éunion l'an dernier, il en est un qui n'a guère été
remarqué, en Europe principalement, mais où quelques travaux intéressants ont pourtant été
publiés. Il s'agit du Congrès d'horticulture. Je ne veux pas faire ici le résumé de tous
ces travaux, mais l'un d'eux mérite une mention spéciale. Il est dû à un Japonais, M. Henry Isawa,
et porte sur l'art particulièrement japonais de produire des arbustes et arbres nains. Tout visiteur de l'Exposition
de 1889 se rappelle le petit jardin entouré d'une palissade en bambou, où, sur la pente du Trocadéro,
était groupée l'horticulture japonaise; et chacun se rappelle ces grands vases blancs et bleus où
s'élevaient des arbres nanisés, de véritables raccourcis d'arbres, simulacres des géants de la
forêt qu'on regarderait par le gros bout de la lorgnette. Ces nains sont le produit d'un art très
compliqué, et les prix très élevés que les Japonais demandaient -- et obtenaient -- de différents
conifères, qui, âgés de 50, 100 et 150 ans même -- disaientils -- n'atteignaient pas un mètre de
hauteur, parfois pas même 50 centimètres, donnent à penser que le processus grâce auquel s'obtient le
nanisme ne va pas sans quelques difficultés. C'est ce processus que M. Izawa nous a décrit à Chicago, et
il y a quelque intérêt à résumer ici les indications données par lui. Les arbres que les horticulteurs s'appliquent le plus souvent à naniser appartiennent à la famille des pins: ce sont les Pinus densiflora, passiflora, et thunbergii, mais les thuya sont aussi fréquemment employés. On commence par semer les graines de façon ordinaire, et le jeune plant se développe librement pendant un an. Au début de la seconde année, quand il a quelque vingt centimètres de hauteur, les opérations spéciales commencent. Celles-ci consistent à ployer les branches naissantes et le tronc, et à maintenir les courbures au moyen de tuteurs et d'attelles rigides auxquelles on fixe les rameaux avec des liens en paille de riz. De cette façon, chaque courbure est maintenue de force, et les moyens sont très simples comme on voit. A l'automne, on met les plants en sol très fertile, riche en engrais, et ils y restent pendant sept ans environ. Mais durant ces sept années l'horticulteur a encore fort à faire. Il ne perd pas de vue son élève. Il maintient les courbures existantes et remplace les liens qui pourraient se détruire. D'autre part, chaque rameau nouveau est l'objet d'un traitement identique, et tout l'art consiste à savoir contourner ceux-ci de façon à présenter, en petit, l'apparence des branches de l'adulte, de façon à former des branches bizarres avec des touffes de feuillage ça et là comme chez un arbre très vieux où la verdure forme de petits panaches espacés sur le trajet de branches allongées et rugueuses. C'est un travail de tous les jours. Il faut sans cesse surveiller et sans cesse intervenir. Du reste, quiconque a regardé d'un peu près les arbres nains du Trocadéro en 1889, a remarqué ces liens grâce auxquels les courbures et les angles étaient en quelque sorte consolidés. Au bout de sept ans, en moyenne, les arbres ont acquis [180] des proportions suffisantes, et par son travail l'artiste leur a donné la forme qu'il voulait. Le tout est maintenant de maintenir l'état de choses. Il n'est plus besoin de branches nouvelles: au contraire, elles seraient gênantes. Pour en empêcher le développement, on transplante les arbres dans des vases de 30 ou 40 centimètres de diamètre, avec la terre attachée à leurs racines, et on se borne à arroser copieusement. Le sol évidemment n'est pas abondant; il ne peut pourvoir à une végétation bien vive, et, au reste, on pince chaque bourgeon qui ferait mine de se développer. Après trois ans de ce régime, l'arbre se décourage: il ne fournit plus de pousses nouvelles, et le voilà nain définitivement. Il ne s'agit plus que de l'entretenir en vie, et, à force de vivre de privations il en est venu à se contenter d'un régime très maigre: la terre du vase où il se trouve enfermé lui suffit. M. Izawa n'en dit rien, mais il est probable que nulle tentative de reproduction ne s'opère, et que ces nains demeurent stériles. Il ne dit pas non plus ce qui se passe dans les cas où un arbre nain, placé en pleine terre, est abandonné à lui-même. Il semble bien que si l'expérience se faisait avant la 10e année, le plant prendrait un développement important, [sic] Mais est-il bien certain qu'un nain de quinze ou vingt ans planté en bonne terre resterait nain? Sur ce point nous n'avons point de renseignements, et comme en définitive la croissance des plantes n'est guère limitée que par la durée de leur existence, alors que chez les animaux la croissance cesse au bout d'un temps parfois très court, il eût été intéressant d'avoir quelque information. La nanisation des bambous, qui se pratique de façon courante, est obtenue d'une autre manière. Trois semaines après que les pousses du bambou ont fait leur apparition, alors que les troncs mesurent environ 20 centimètres de circonférence, et lm,50 de hauteur, on enlève l'écorce au niveau des noeuds. A la 5e semaine, la tige ayant quelque peu épaissi, l'on plie celle-ci en zigzag et on l'attache dans cette position, de sorte qu'elle reste raccourcie et présente de nombreuses inflexions latérales. Vers le 3e mois, on coupe tous les bourgeons latéraux qui ont poussé sur la tige, on les coupe à 12 ou 15 pouces de celles-ci. A ce moment, on transplante la plan te dans un pot rempli de sable, sans engrais, mais que l'on arrose abondamment. Il suffit désormais de couper les bourgeons chaque année, en mai ou juin, et après trois ans les feuilles prennent des teintes verdàtres et jaunes très appréciées des Japonais. Pour les thuyas, dont il y avait bon nombre en 1889 au Trocadéro, le processus est plus compliqué. On sème d'abord une graine de thuya Lobbi en sol fertile, et le jeune plant se développe librement pendant trois ans environ; au bout de ce temps, il a lm,50 environ de hauteur. C'est alors que commencent les opérations. Au printemps, on coupe toutes les branches, ne respectant que le tronc et la branche la plus élevée. Puis, avec un ciseau à froid d'un demi-centimètre environ de largeur, on perfore le tronc à sa partie la plus épaisse, enfonçant le ciseau de façon à faire un trou de 25 millimètres de profondeur environ, et ces trous se pratiquent de distance en distance, espacés de 5 ou 7 centimètres sur la longueur de la tige. Ceci permet de courber celle-ci dans toutes les directions, et de la sorte la tige se trouve fort raccourcie. On maintient le raccourcissement au moyen de liens qui entourent le tronc et lui imposent la conservation des courbures que l'artiste fait aussi variees, bizarres et compliquées qu'il lui plaît. L'année suivante, au printemps toujours, le jeune arbre est mis en pot, dans une terre fertile où il reste deux ans. Alors intervient un nouveau processus. Il s'agit de greffer du thuya obtusa sur la tige de thuya Lobbi. On commence pardonner à celle-ci une riche provision d'engrais, et au printemps on découpe sur le thuya obtusa des pousses de 5 centimètres environ; on les taille en forme de bec, et ce bec est inséré dans des fentes faites a la tige. On pratique une greffe pour chaque centimètre de longueur de celle-ci. eacuteacirc;rature oscille entre + 1° et + 2° C. Celle-ci est élevée graduellement au cours de trois semaines environ à 15° ou 20° centigrades. La plante reste quinze jours par exemple à 15°, et quinze jours encore à 20°. Des feuilles se montrent bientôt sur les greffons et vers la fin du printemps on peut transporter la plante au dehors, en situation abritée contre le soleil. A l'automne, les greffons ayant bien pris, on peut couper toutes les pousses que le sujet aurait produites. Celui-ci est chaque année transplanté en bon sol, et au bout de six ans on a des thuyas nains pleinement satisfaisants. D'autres arbres résineux se traitent de la même manière, et les horticulteurs japonais s'amusent souvent à greffer cinq ou six espèces différentes sur un mâme sujet. Ils font de même pour l'érable, greffant jusqu'il 10 et 20 espèces distinctes sur une même tige, ce qui donne des combinaisons curieuses de coloris. On voit que l'art de la nanisation des végétaux, tel que la pratiquent les Japonais, est une oeuvre de patience et de grand soin: il y eacutagrave;es, avant de les livrer à l'amateur, on comprend que leur prix soit relativement très élevé. H. de V. 1
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NOTES 1 "Varieties," Revue Scientifique (Revue
Rose), No. 6, Tome II, 11 Aout 1894, pp.
179-180.
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